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comme elle ne l’avait jamais été en sa vie, l’écoutait et l’admirait.

Ferragus et Dame-Loïse, les deux lévriers du Roz, gambadaient dans la poudre et se lançaient d’un bond par-dessus les grandes haies, à la poursuite l’un de l’autre.

Jeannin seul, le bel et bon soldat, ne parlait à personne, ne voyait et n’entendait rien. Les méditations où il s’enfonçait étaient si laborieuses que la sueur découlait de son front.

— Si ma pauvre chère femme Simonnette était encore en vie, pensait-il tout en lâchant de gros et nombreuxsoupirs, elle me tirerait de là, mais Dieu me l’a prise… et moi, je ne sais pas penser tout seul.

— Non ! je ne sais pas, poursuivit-il en essuyant la sueur de son front ; j’en deviendrai fou, c’est bien sûr ! Est-ce qu’un secret pareil n’est pas trop lourd pour la pauvre cervelle d’un homme d’armes ! Le roi de France veut enlever monseigneur le duc François ; j’aurais pu mal comprendre le langage du roi, mais ce diable de nain me l’a répété, et il ne me ment jamais a moi !

Il s’interrompit brusquement.

— Et ne m’a-t-il pas dit aussi, s’écria-t-il en lui-même, que ma fille mourrait si je n’étais pas chevalier ? Dieu bon ! j’ai eu grande frayeur un instant, j’ai cru qu’il y avait quelque mystère entre elle et messire Aubry, mais la voilà bien droite sur sa haquenée ; elle n’écoute même pas ce que messire Aubry dit a sa belle cousine Berthe… Et comme il lui en conte aujourd’hui à sa belle cousine !

Ceci plaisait a l’honnête Jeannin et le fit sourire.

Chevalier ! grommela-t-il en haussant les épaules, à la bonne heure ! l’ami Fier-à-Bras n’y va pas de main morte ! Chevalier ! moi ! Jeannin, l’ancien coquetier des Quatre Salines ! Allons donc.

Il était parti de bien bas, le brave Jeannin. À l’âge de dix-huit ans, c’était encore un blond chérubin déguenillé, qui courait les pieds nus dans le sable, péchant des coques et rêvant à Simonnette Le Priol, qui était autant au-dessus de