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Fanchon Le Priol achevait sa vieillesse, la vogue était venue avec Jeannine. Les chalands abondaient depuis deux semaines. Nobles dames et bourgeoises accouraient pour voir la brunette dont tout le monde vantait le sage maintien et l’incomparable beauté.

La brunette ne songeait guère à ceux ou à celles qui s’occupaient ainsi d’elle dans la bonne ville de Dol. Elle s’était réfugiée tout au fond de ses souvenirs.

Ne plus vivre qu’au passé a seize ans ! c’est trop jeune, n’est ce pas ?

Souvent, tandis que son aiguille, distraite, piquait la fine toile d’un rabat, autour de la lèvre pâlie vous eussiez vu comme le reflet d’un sourire.

— À quoi penses-tu, petite mie ? demandait la Le Priol. — À rien, grand’mèrc.

Elle pensait aux paysages enchantés qui encadrent le cours de la Rance, aux verts coteaux de Châteauneuf, à ce ravin sombre où messire Aubry s’asseyait, au retour de la chasse, sous l’immense châteignier dont le tronc se fendait.

Une larme furtive mouillait alors les longs cils noirs de sa paupière.

— Qu’as-tu, petite fille ! demandait encore dame Fanchon Le Priol.

— Rien, grand’mère.

Et quand la Le Priol ajoutait :

— Petite fille, on dirait que tu pleures ?

— Jeannine répondait effrontément, les yeux tout pleins de larmes ;

— Mais non, grand’mère, je ne pleure pas.

Et refoulant tout au fond d’elle-même ses pauvres beaux souvenirs d’enfant. Elle pensait :

— Dieu est bon ; je mourrai jeune !

Cependant, la cavalcade suivait le chemin tortueux qui longe le rivage.

— Bette, prononçait gravement la tante Josèphe en s’adressant à sa vieille suivante, Mme  Reine de Kergariou est