l’Évangéliste. La lune venait dans ses yeux, clairs et froids comme du cristal.
— Et il me regardait, poursuivit Berthe ; il me regardait !
— Moi de même ; j’en perdis presque le fil de mon oraison !
— Et son nom, demanda Berthe, le sais-tu ?
— Personne ne le sait.
— C’est étrange !
— Ma grand’mère Fanchon, qui est vieille et qui cause avec tout le monde, dit que c’est un prince d’Orient, venu en pèlerinage au mont Saint-Michel.
— Il a bien l’air d’un prince ! murmura Berthe.
— L’aumônier de Sainte-Rosalie dit que c’est un païen et qu’on devrait fermer devant lui la porte des églises.
— Il a bien l’air d’un païen ! murmura encore Berthe qui rêvait ; j’ai vu dans les figures de l’histoire Sainte le portrait de ce duc assyrien Holopherne, tué par la noble Judith, dame de Béthulie, au temps de Nabuchodonosor… Ce portrait lui ressemble.
— Depuis cette première fois, reprit-elle en s’adressant à Jeannine, je le rencontre partout sur mon passage… et avant-hier, je le vis, de loin, dans les bois de Landal, qui chevauchait aux côtés d’Aubry…
— Que Dieu garde messire Aubry prononça Jeannine si bas que Berthe ne put l’entendre.
— Est-ce que tu penses à lui ? demanda Berthe tout à coup.
Jeannine recula épouvantée. Pour elle, cette question se rapportait à Aubry de Kergariou.
— À lui ! répéta-t-elle.
— Folle que je suis ! s’écria Berthe ; autour du manoir Roz il y a des jeunes gens de ton âge. Tu as ton fiancé, sans doute… N’es-tu pas trop bonne chrétienne pour songer à cet inconnu que l’on soupçonne d’être un mécréant ?
Jeannine respira. Mais elle ne voulut plus affronter le danger de ces méprises.
— Ma chère demoiselle, dit-elle en changeant de ton, vous m’avez fait oublier le motif de ma venue…