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nos paroles attirèrent l’attention du jeune homme ; il leva les yeux vers notre fenêtre et son regard croisa le mien. Ma physionomie exprimait sans doute une vive sympathie, car il rougit légèrement et resta tout songeur.

— Il est timide, votre don Juan, me souffla Thérèse, il me fait l’impression de n’être encore qu’un apprenti.

— À son âge ? répliquai-je, ce serait un oiseau rare. Les jouvenceaux d’à présent n’attendent pas d’être majeurs pour jeter leur pucelage au vent… Et ne serait-ce qu’avec cette femme, que ces gaillards-là m’ont l’air de se partager en bons camarades, ton Monsieur Adrien a déjà vu le loup…

— Sa mère le tient de très près, reprit Thérèse, et elle l’élève comme une fille. D’ailleurs, si je calcule bien, ce garçon n’a pas plus de dix-neuf ans… il n’y a pas encore de temps perdu…

— Je le gobe, moi, ce garçon, dis-je alors ; il a une figure agréable qui ne peut appartenir à un imbécile…

— Eh bien ! puisqu’il te plaît tant, répondit Thérèse, pourquoi ne cherches-tu pas à lui parler ?…

— Ce n’est pas l’envie qui me manque, ma chère, et s’il était seul… Mais je ne puis l’aborder au milieu de ses amis, et surtout en présence de cette femme. Lui aussi, j’en suis sûre désire me voir de plus près…

Le jour baissait : l’équipage reprit ses avirons et la yole quitta le bord sans qu’aucun des canotiers, sauf Adrien, eût remarqué notre présence. Nous nous étions levées, et restâmes un instant sur le seuil, les regardant s’éloigner.

Un regret cuisant me serrait le cœur. À un moment, il me sembla que le rameur placé au dernier banc me faisait un signe d’adieu ; mais ce ne fut qu’une vision vite effacée, et le canot disparut au tournant de la rivière.

Nous revînmes vers la gare, sans nous parler. Thérèse voyait bien à ma mine déconfite que j’étais d’assez méchante humeur et ne trouvait rien à dire pour me consoler. De mon

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