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il donna à entendre que Dieu lui parlait ; il représentait ses ennemis comme des envoyés du diable ; bref, avec les fables les plus grossières, il fanatisa le peuple, et pendant quelques années il dirigea la république. Ici le miracle cesse ; c’est l’intelligence de l’homme qui agit, qui invente, qui gouverne ; c’est le dogme, c’est la religion qui se forme. Le miracle est absolument séparé du dogme ; il n’a pas de pensée, pas de sens, et par sa fatalité il rentre dans la sphère des phénomènes naturels. Le dogme c’est le mensonge. On le façonne à plaisir ; il flotte au gré des circonstances, de la crédulité : païen ou chrétien, il est entièrement livré a l’habileté des révélateurs. Achevons la pensée de Machiavel par Pomponat : Le thaumaturge n’est qu’un imposteur ; il ne fait pas les miracles, il les prévoit, et il donne ainsi à ses ordres toute l’autorité du prodige, comme s’il pouvait disposer de la création. Donc la religion n’arrête pas l’intelligence, c’est l’intelligence au contraire qui la crée ; elle peut inventer le paganisme, le christianisme, Dieu lui-même. Dans cette création, l’intelligence ne rencontre d’autres limites que celles tracées par le mouvement des sphères. Quand une religion est irrésistiblement fixée par ses prophètes et par ses pontifes, il faut céder à la fortune qui la consacre, et qui, au reste, la voue, comme toute chose, à une corruption inévitable. Lorsque les prodiges cessent, lorsque les fables religieuses exploitées par les pontifes se déconsidèrent, alors l’imposture se dévoile, la religion tombe, et l’intelligence de l’homme peut fonder de nouvelles religions prédestinées à leur tour à des catastrophes nouvelles.

La loi morale est écartée par Machiavel aussi nettement que les dogmes religieux. Jamais il ne tient compte du sentiment du droit. Quand il parle de la royauté, il n’y voit que l’œuvre de l’habitude, il ne soupçonne jamais un pacte entre un peuple et une famille. Quand il parle de la liberté, c’est la fierté individuelle, ce sont les avantages de l’indépendance qu’il défend. S’agit-il des traités, des droits d’une nation envers l’autre, Machiavel ne comprend que la volonté de dominer. Les couronnements, les traditions, les symboles des droits n’ont pour lui aucun sens. Rien ne nous oblige donc : les sphères sont inexorables, les miracles expriment la fatalité des sphères,’ le dogme est menteur, l’intérêt absolument libre est la vraie divinité de la terre, et l’intelligence au service de l’égoïsme est la vertu de Machiavel. Peu importe le but. L’homme peut transporter son égoïsme dans la gloire comme Lycurgue, dans la fondation d’une ville comme Romulus, dans une conquête comme