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Philippe de Macédoine, père de Persée, prince belliqueux et d’une grande réputation dans son temps, attaqué par les Romains, abandonna une partie de ses États, qu’il croyait ne pouvoir défendre après les avoir entièrement ravagés. Sa prudence lui avait fait voir qu’il y avait un danger plus réel à perdre sa réputation en défendant inutilement ce qu’il aurait voulu préserver, que de l’abandonner en proie à l’ennemi comme une chose qu’on néglige.

Quand les Romains, après la défaite de Cannes, virent leurs affaires presque entièrement ruinées, ils refusèrent leurs secours à la plupart de leurs protégés et de leurs sujets, leur recommandant seulement de se défendre du mieux qu’ils pourraient. Un tel parti est bien meilleur que d’entreprendre la défense d’une chose, et de ne pouvoir ensuite la défendre, parce que, dans ce dernier cas, on perd tout à la fois ses amis et ses forces ; dans le premier, on perd ses amis seulement.

Mais, pour en revenir aux engagements partiels, il faut, si un général est forcé d’en venir à cette extrémité par la nouveauté de l’ennemi, qu’il le fasse avec un tel avantage, qu’il ne puisse même craindre le danger d’être vaincu, ou plutôt qu’il se comporte comme Marius ; ce qui est le plus sage parti. Ce général allait combattre les Cimbres, peuple féroce, qui menaçaient d’inonder l’Italie entière pour la livrer au pillage. Leur barbarie et leur multitude répandaient partout la terreur, qu’augmentait encore la défaite d’une armée romaine vaincue par eux. Marius, avant de leur livrer bataille, jugea qu’il était nécessaire de prendre des mesures propres à bannir de l’armée la terreur qu’y avait imprimée la renommée de l’ennemi, et, en général expérimenté, il fit camper plusieurs fois ses troupes dans des lieux où les Cimbres devaient passer avec toute leur armée. Il voulait que ses soldats, renfermés dans leurs retranchements, pussent les voir et accoutumer leurs