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engagea quelques légères escarmouches avec les Samnites, ne eos novum bellum, ne novus hostis terreret.

C’est s’exposer cependant au plus grand danger, parce que si vos soldats restent vaincus dans ces combats, leur effroi et leur lâcheté prennent un nouvel accroissement, et il en résulte un effet entièrement opposé à vos desseins ; c’est-à-dire, qu’au lieu de les rassurer, vous les effrayez davantage. C’est donc là une de ces mesures où le mal est si près du bien, où ils sont même tellement confondus, qu’il est aisé de rencontrer l’un en croyant embrasser l’autre.

Sur quoi je dis, qu’un habile général doit avoir le plus grand soin qu’il ne s’élève aucun accident qui puisse porter le découragement dans son armée. Ce qui ôte le courage aux soldats, c’est de commencer par éprouver un échec ; aussi doit-il éviter toutes les actions partielles, et ne les permettre que lorsqu’on peut le faire avec un grand avantage, et l’espoir certain de la victoire : il ne doit point tenter de garder les passages où il ne peut réunir toute son armée ; il ne doit défendre que les places dont la perte entraînerait inévitablement la sienne ; quant à celles qu’il garde, il faut qu’il s’arrange de manière qu’au moyen de leurs garnisons et de son armée il puisse, dans le cas où ces places viendraient à être assiégées, disposer de toutes ses forces ; quant aux autres, il doit les laisser sans défense. Toutes les fois, en effet, qu’on ne perd qu’une chose abandonnée et que votre armée est encore intacte, elle ne perd ni sa réputation dans la guerre ni l’espérance de la victoire. Mais quand l’ennemi vous arrache un point que vous projetiez de défendre, et dont chacun est convaincu que vous aviez entrepris la défense, c’est alors que le dommage se joint à la perte, et un événement de peu d’importance vous enlève comme aux Gaulois tout le succès de la guerre.