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CHAPITRE XXXVI.


Pourquoi les peuples de la France ont eu et ont encore la réputation d’être plus que des hommes au commencement du combat, et moins, ensuite, que des femmes.


L’intrépidité de ce Gaulois, qui, sur les bords du fleuve Anio, défiait les plus braves Romains, et son combat avec T. Manlius, me rappellent ce que dit plusieurs fois Tite-Live, que les Gaulois, au commencement de la bataille, sont plus que des hommes ; mais qu’en continuant de combattre, ils deviennent moins que des femmes.

En réfléchissant d’où cette opinion peut provenir, on est généralement porté à penser qu’elle tient à leur nature même ; ce que je crois fondé. Cependant, il n’en résulte pas nécessairement que ce naturel, qui leur inspire d’abord tant d’intrépidité, ne puisse être discipliné de manière à leur conserver le même courage jusqu’à la fin du combat.

Pour prouver ce que j’avance, je dirai qu’il y a des armées de trois espèces : l’une, dans laquelle éclatent également le courage et le bon ordre, qui est la véritable source du courage. Telles étaient les armées romaines, chez lesquelles on voit, par toute leur histoire, qu’il existait un ordre excellent, introduit depuis longtemps par la discipline militaire. En effet, dans une armée bien ordonnée, personne ne doit rien faire qui ne soit réglé. Aussi voit-on que, dans les armées romaines, dignes sous ce rapport de servir de modèle à toutes les autres nations, puisqu’elles ont vaincu l’univers, on ne mangeait, on ne dormait, on ne vendait, on n’achetait, on ne formait enfin aucune entreprise militaire ou domestique sans la permission du consul. Les armées qui agissent différemment ne sont pas de véritables armées ;