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cette sécurité que donne l’habitude de la victoire, ne peuvent se laisser vaincre par des incidents de si peu d’importance ; et une fausse terreur, un désordre imprévu ne sauraient ni les effrayer ni les abattre. C’est ce que l’on voit dans la circonstance suivante. Les deux Manlius, consuls du même nom, se trouvaient en présence des Volsques : ils envoyèrent imprudemment une partie du camp au butin, de sorte que ceux qui étaient sortis et ceux qui étaient restés au camp se trouvèrent assiégés ; et ce ne fut pas l’habileté des consuls qui sauva l’armée de ce danger, mais le courage seul de leurs soldats. C’est ce qui fait dire à Tite-Live : Militum etiam sine redore stabilis virtus tutata est.

Je ne veux point passer sous silence un moyen qu’employa Fabius : il venait de rentrer sur le territoire de la Toscane ; et, pour inspirer à son armée une confiance qu’il jugeait nécessaire à ses projets dans un pays inconnu, en présence d’ennemis nouveaux, il parlait à ses soldats de la bataille qui allait avoir lieu ; après leur avoir exposé les motifs qu’ils pouvaient avoir d’espérer la victoire, il ajouta : « Je pourrais bien vous dire encore beaucoup d’autres bonnes raisons, et où vous verriez une victoire certaine ; mais il serait dangereux de les découvrir. » Cet expédient, dont il usa avec sagesse, mérite d’être imité.


CHAPITRE XXXIV.


Quelle renommée, quelle voix publique, quelle opinion, font qu’un peuple commence à favoriser un citoyen ; et s’il accorde les magistratures avec plus de discernement qu’un prince.


Nous avons rapporté précédemment comment Titus Manlius, qui fut depuis surnommé Torquatus, sauva son père L. Manlius d’une accusation qu’avait dirigée contre