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tion pacifique, ils excitèrent la multitude à prendre les armes et à faire une incursion sur les terres de Rome.

En effet, quand on veut ou qu’un peuple ou qu’un prince rejette tout accommodement, il n’est pas de moyen plus sûr ni plus solide que de l’exciter à quelque grave perfidie envers celui avec lequel on ne veut pas qu’il se réconcilie : son éloignement pour la paix sera d’autant plus grand, qu’il redoutera davantage la peine que son outrage semble lui mériter.

Après la première guerre punique, les troupes que les Carthaginois avaient employées contre les Romains, en Sicile et en Sardaigne, retournèrent en Afrique dès que la paix fut conclue : mécontentes de leur solde, elles se soulevèrent contre Carthage, mirent à leur tête Matho et Spendius, s’emparèrent de beaucoup de villes de la république, et en dévastèrent un grand nombre. Les Carthaginois, résolus de tenter toutes les voies avant d’en venir à une bataille, envoyèrent vers eux, comme ambassadeur, Asdrubal leur concitoyen, qu’ils jugeaient devoir conserver quelque autorité sur ces troupes, pour avoir été autrefois leur général. A peine était-il arrivé, que Spendius et Matho, dans l’espoir d’obliger tous leurs soldats à ne plus compter sur la paix avec Carthage, et pour les contraindre au contraire à la guerre, leur persuadèrent qu’il était bien mieux d’égorger Asdrubal, ainsi que tous les Carthaginois qui se trouvaient prisonniers entre leurs mains. Non-seulement ces furieux les massacrèrent, mais ils les livrèrent auparavant aux tourments les plus affreux ; et, pour ajouter à leur barbarie, ils publièrent un édit qui menaçait du même supplice tout Carthaginois qui, à l’avenir, tomberait en leur pouvoir. Cette résolution, et les massacres qui en furent le résultat, portèrent à leur comble la rage et l’obstination dont cette armée était animée contre Carthage.