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choses de ce monde, les empêche de se laisser trop réjouir par le bien ou trop attrister par le mal.

Ce que je dis d’un seul homme s’applique à tous ceux qui vivent dans un même gouvernement, et dont la perfection est toujours égale à celle qui existe dans la manière dont on y vit.

Quoique j’aie déjà dit ailleurs que le fondement de tous les États était une bonne milice, et que là où elle n’existe pas il ne saurait y avoir ni bonnes lois ni aucune autre bonne chose, je crois nécessaire de le répéter ; parce qu’à chaque pas que l’on fait dans la lecture de cette histoire on voit apparaître cette nécessité ; on voit comment la milice ne peut être bonne si elle n’est continuellement exercée ; et comment il est impossible de l’exercer si elle n’est composée de vos propres sujets, parce qu’on n’est pas toujours en guerre et qu’on ne peut toujours y rester. Il faut donc pouvoir exercer une armée en temps de paix ; et si elle n’est composée de vos propres sujets, cet exercice ne saurait avoir lieu à cause de la dépense.

Camille, ainsi que nous l’avons dit, avait marché avec son armée à la rencontre des Toscans : ses soldats s’effrayèrent à l’aspect du grand nombre de leurs ennemis, se croyant trop inférieurs pour soutenir leur attaque. Cette fâcheuse disposition des troupes étant parvenue aux oreilles de Camille, il parut devant elles et parcourut le camp en parlant à chaque soldat : il parvint à effacer de leur esprit cette dangereuse idée ; et enfin, sans ordonner d’autres dispositions, il se contenta de dire : Quod quisque didicit, aut consuevit, faciat.

Si l’on réfléchit bien à cette conduite et aux paroles qu’il prononça pour exciter ses troupes à marcher contre l’ennemi, on sera convaincu qu’on ne pouvait dire et faire exécuter une chose semblable qu’à une armée également instituée et exercée dans la paix et dans la guerre. Un général ne peut se confier à des soldats