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CHAPITRE XXXI.


Les républiques vigoureuses et les hommes d’un grand caractère conservent, dans toutes les situations, la même force d’âme et la même dignité.


Parmi les actions et les paroles admirables que notre historien rapporte de Camille, pour retracer le portrait d’un grand homme, il lui met ces mots dans la bouche : Nec mihi dictatura animos fecit, nec exilium ademit. Ces paroles montrent que les grands hommes sont toujours les mêmes, quelle que soit leur fortune : si elle varie, soit en les exaltant, soit en les opprimant, eux seuls ne changent point, et conservent toujours une âme également ferme et tellement unie avec leur manière ordinaire de vivre, que chacun s’aperçoit sans peine que la fortune n’a pas de prise sur eux.

Les hommes sans force d’âme se conduisent d’une manière toute différente. La bonne fortune les enfle et les enivre, et ils attribuent tous les avantages qu’ils possèdent à des vertus qu’ils ne connurent jamais ; aussi deviennent-ils bientôt insupportables et odieux à tous ceux qui les entourent : de là ces prompts changements de fortune. A peine ont-ils vu l’adversité en face, qu’ils tombent dans l’excès opposé, et deviennent vils et bas. Il en résulte que les princes de ce caractère songent bien plus, dans le malheur, à se fuir eux-mêmes qu’à se défendre, comme des hommes qui, pour avoir mal usé de la bonne fortune, ne sont jamais préparés à la défense.

Ce courage et cette lâcheté, que j’ai dit se trouver dans un seul homme, se rencontrent également dans une république ; et Rome et Venise en sont un exemple. La première ne se laissa jamais ni abattre par l’adversité, ni enorgueillir par le succès, comme le prouvent évi-