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commandements, quoique ceux de Manlius fussent tellement rigoureux, que l’on nomma Manliana imperia tous les ordres qui se faisaient remarquer par leur excessive sévérité.

Il faut donc examiner d’abord ce qui obligea Manlius à déployer une si grande sévérité, et pourquoi Valerius, au contraire, put s’abandonner à sa douceur naturelle ; ensuite comment il se fait que des procédés si divers aient obtenu les mêmes résultats ; et enfin quel est celui qu’il est plus désirable et plus avantageux d’imiter.

Si l’on examine avec attention le caractère de Manlius, du moment où Tite-Live commence à parler de lui, on verra en lui un homme doué du plus ferme courage, plein de tendresse pour son père et pour sa patrie, de respect pour ses supérieurs. Il fit éclater ces vertus dans le combat où il donna la mort à un Gaulois, et dans la défense de son père, qu’il entreprit contre un des tribuns. Avant d’aller combattre ce Gaulois, il vint trouver le consul et lui dit : In jussu tua adversus hostem nunquam pugnabo, non si certam victoriam videam. Un homme de cette trempe, parvenu au commandement, doit vouloir que tous les hommes lui ressemblent ; son âme sans faiblesse lui dicte des ordres rigoureux ; et lorsqu’il a fait connaître ses volontés, il ne souffre pas qu’on les enfreigne. Une règle sans exception, c’est que si l’on donne des ordres pleins de sévérité, il faut les faire exécuter impitoyablement, lorsqu’on ne veut pas en être soi-même la victime ; d’où il faut conclure que, quand on veut être obéi, il faut savoir commander. Et ceux-là seuls savent commander, qui comparent leurs qualités à celles des hommes qui doivent leur obéir ; qui ne donnent des ordres que lorsqu’ils y voient de la proportion, et qui, lorsqu’elle n’existe pas, se gardent bien de rien prescrire. C’est ce qui faisait dire à un sage que, lorsqu’on voulait gouverner