Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/497

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais l’amour de la patrie fut plus puissant que toute autre considération : les citoyens furent plus touchés des périls présents, dont son ambition les menaçait, que de ses services passés ; et ils crurent ne pouvoir s’en délivrer qu’en le faisant mourir. Tite-Live ajoute : Hunc exituum habuit vir, nisi in libera civitate natus esset, memorabilis.

Il y a deux choses à examiner dans cet événement : l’une, que, dans une ville où toutes les institutions politiques sont encore en vigueur, il faut poursuivre la gloire par d’autres voies que dans une république déjà corrompue ; l’autre, qui est presque la même que la première, que les hommes, pour bien se conduire, surtout dans les actions importantes, doivent faire attention aux temps et s’y conformer. Ceux qui, par un mauvais choix, ou par un penchant naturel, s’éloignent des temps où ils vivent, sont ordinairement malheureux, et ne trouvent qu’une issue funeste à toutes leurs entreprises ; le succès couronne, au contraire, tous ceux qui se conforment au temps.

On peut conclure, sans doute, des paroles de notre historien que nous avons citées, que si Manlius avait vu le jour à l’époque des Marius et des Sylla, où les mœurs étaient déjà corrompues, et où il aurait pu leur imprimer la forme la plus propre à favoriser son ambition, il aurait suivi la même conduite, et aurait obtenu les mêmes succès que Marius, Sylla, et tous ceux qui, après eux, aspirèrent à la tyrannie. De même, si Marius et Sylla avaient vécu du temps de Manlius, ils eussent été étouffés dès leurs premières entreprises. Un homme peut bien, par ses manières et l’exemple de ses mauvaises mœurs, commencer à introduire la corruption dans le sein d’une cité ; mais il est impossible que toute la vie de cet homme soit assez longue pour suffire à la corrompre, de manière à recueillir lui-même le fruit de cette corruption ; et quand il serait possible qu’il y parvînt