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contre plusieurs personnes ; car on ne sert ni soi-même, ni la patrie, ni ses concitoyens : au contraire, celui qui survit devient plus audacieux et plus cruel, ainsi que Florence, Athènes et Héraclée, dont nous venons de parler, en ont fait l’expérience.

Il est vrai que la conjuration de Pélopidas, pour délivrer Thèbes sa patrie, eut à vaincre toutes les difficultés que nous avons signalées ; et cependant elle eut la plus heureuse issue, quoique Pélopidas conspirât non-seulement contre deux tyrans, mais contre dix ; quoiqu’il ne fût pas dans la familiarité des tyrans, et que l’entrée de leur demeure lui fût même interdite, puisqu’il avait été banni comme rebelle : néanmoins il eut la hardiesse de rentrer dans Thèbes, d’immoler les tyrans, et de délivrer sa patrie. Il est vrai qu’il fut puissamment aidé par un certain Carion, conseiller des tyrans, qui lui facilita l’accès auprès d’eux pour l’exécution de son entreprise.

Que cet exemple cependant n’engage personne à l’imiter ; car l’entreprise était impossible, et c’est un miracle qu’elle ait réussi : aussi tous les historiens qui la célèbrent la regardent-ils comme une chose extraordinaire et presque sans exemple.

L’exécution d’un complot peut être interrompue par une fausse imagination ou par un accident imprévu au moment d’agir. Le matin du jour même que Brutus et les autres conjurés avaient choisi pour assassiner César, ils le virent s’entretenir longtemps avec Cn. Popilius Lœna, un de leurs complices. Cette longue conversation leur fit craindre que Popilius n’eût révélé le complot à César, et ils furent au moment de frapper le dictateur sur le lieu même, sans attendre qu’il fût entré dans le sénat : ils auraient sans doute accompli leur dessein si, après que la conversation fut terminée, ils n’avaient pas vu César conserver la même tranquillité ; ce qui les rassura.

Ces fausses terreurs ne sont pas à dédaigner, et la