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un bienfait récent, surtout lorsque le bienfait est moins grand que l’offense.

Il n’est pas douteux que Servius Tullius montra peu de prudence lorsqu’il crut que les fils de Tarquin supporteraient patiemment de n’être que les gendres de celui dont ils pensaient devoir être les rois. Et cette soif de régner est telle, qu’elle s’allume dans le cœur non-seulement de ceux qu’attend le trône, mais de ceux mêmes qui ne pouvaient l’espérer. C’est ainsi que la femme de Tarquin le Jeune, la propre fille de Servius, dévorée de cette rage, et foulant aux pieds toute tendresse filiale, excita son mari à ravir à son père et le trône et la vie, tant elle attachait plus de prix à être reine que fille d’un roi !

Mais si Tarquin l’Ancien et Servius Tullius perdirent leur couronne pour n’avoir pas su s’assurer de ceux auxquels ils l’avaient ravie, Tarquin le Superbe se la vit enlever pour n’avoir point observé les lois établies par les anciens rois, comme nous le dirons dans le chapitre suivant.


CHAPITRE V.


Ce qui fait perdre un royaume à un roi héréditaire.


Tarquin le Superbe, après avoir assassiné Servius Tullius, auquel il ne restait point d’héritiers, jouissait tranquillement du trône, et ne craignait aucun des accidents dont ses prédécesseurs avaient été victimes. Et quoique la manière dont il était monté sur le trône fût aussi horrible qu’illégitime, néanmoins, s’il eût observé les lois établies anciennement par les autres rois, il aurait été supporté, et n’aurait excité ni le sénat ni le peuple à s’armer contre lui pour lui arracher la couronne.

Il ne fut donc pas chassé parce que son fils Sextus