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que désirer de s’en servir. Au surplus, pour prouver combien l’exemple des simples citoyens contribua à la grandeur de Rome, et l’influence qu’il exerça sur la république, j’en ferai la matière des chapitres suivants ; et c’est sur ce sujet que roulera le troisième et dernier livre de ces réflexions sur la première décade de l’historien romain. Et, bien que les hauts faits de ses rois méritent d’être célébrés, néanmoins, comme les historiens les ont rapportés en détail, je les passerai sous silence, à l’exception de quelques faits particuliers opérés par eux dans leur intérêt personnel. Je commencerai par Brutus, le père de la liberté romaine.


CHAPITRE II.


Combien il y a de sagesse à feindre pour un temps la folie.


Jamais action éclatante ne mérita plus à son auteur la réputation d’homme sage et prudent, que ne la mérite Brutus par la simulation de sa folie. Et quoique Tite-Live ne donne d’autre motif de cette conduite que celui de pouvoir vivre avec sécurité et conserver l’héritage de ses pères, cependant si l’on considère attentivement la manière d’agir de Brutus, on est porté à croire qu’il dissimula ainsi pour échapper à l’observation, et saisir plus facilement le moment d’accabler les tyrans et de délivrer sa patrie, si cette occasion s’offrait jamais à lui. On est convaincu que telle était sa pensée, lorsque l’on considère d’abord la manière dont il interprète l’oracle d’Apollon, en feignant de se laisser tomber pour baiser la terre, dans l’espoir que cette action rendrait les dieux favorables à ses desseins ; lorsqu’ensuite on le voit près du cadavre de Lucrèce, environné du père, du mari et de tous les parents de cette infortunée, retirer le premier le poignard de sa blessure,