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mais même terminer la guerre à son avantage ; et tout cela pour avoir défendu le cœur de l’État, et attaché peu d’importance aux extrémités. Toutes les forces de l’État s’appuyaient, en effet, sur la population de Rome, sur le Latium, sur les autres contrées de l’Italie attachées à son alliance, et sur ses colonies ; c’est là qu’elle puisa autant d’armées qu’elle en eut besoin pour combattre et soumettre le monde entier. La question que le Carthaginois Hannon adressa aux députés qu’Annibal avait envoyés à Carthage après la bataille de Cannes prouve évidemment ce que j’avance. Ils venaient d’exposer en termes pompeux les victoires d’Annibal : « Quelque envoyé des Romains, leur dit Hannon, est-il venu demander la paix ? Les peuples du Latium ou quelques-unes des colonies romaines se sont-elles révoltées contre la ville mère ? » Les députés ayant répliqué qu’aucune de ces deux choses n’était arrivée, Hannon répondit : « Cette guerre en est donc encore au même point qu’à son début. »

On voit, et par ce discours et par ce que j’ai répété plusieurs fois ailleurs, l’énorme différence qui existe entre la conduite des républiques de nos jours et celles de l’antiquité. C’est à cette conduite qu’il faut attribuer les revers et les succès miraculeux qui frappent encore chaque jour nos yeux ; car là où les hommes sont lâches et faibles, la fortune se plaît à faire éclater son pouvoir ; et, comme elle est inconstante, on voit et l’on verra sans cesse les républiques et les royaumes devenir le jouet des révolutions, jusqu’à ce qu’il s’élève un homme tellement épris des belles institutions de l’antiquité, qu’il les remette en vigueur, et empêche ainsi la fortune de déployer, à chaque retour de soleil, toute l’étendue de sa puissance.