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prudent ne met en danger sans y être contraint par la nécessité.

Après un séjour de seize ans en Italie, où il s’était couvert de tant de gloire, Annibal, rappelé par les Carthaginois, pour venir secourir sa patrie, trouva Asdrubal et Syphax vaincus, le royaume de Numidie perdu, Carthage réduite à l’enceinte de ses murailles, et n’ayant plus d’autre refuge que lui seul et son armée : convaincu que c’était là sa dernière ressource, il ne voulut point l’exposer avant d’avoir tenté tous les autres moyens ; il ne rougit point de demander la paix, jugeant bien que s’il restait encore à sa patrie quelque espoir de salut, c’était de la paix, et non de la guerre, qu’elle devait l’attendre. Son attente ayant été trompée, il ne voulut pas que la crainte de succomber l’empêchât de combattre ; car il lui restait encore l’espoir de vaincre ou de succomber avec gloire.

Et si un général aussi brave et aussi expérimenté qu’Annibal, dont l’armée n’avait pas été entamée, chercha à faire la paix avant d’en venir aux mains, parce qu’il était convaincu qu’une défaite entraînerait l’esclavage de sa patrie, que doit faire un capitaine d’une valeur et d’une expérience moins consommées que la sienne ? Mais c’est une erreur commune à tous les hommes, de ne savoir pas mettre de bornes à leurs espérances : ils s’appuient sur elles sans bien mesurer tous leurs moyens, et ils sont entraînés dans l’abîme.



CHAPITRE XXVIII.


Combien il est dangereux pour un prince ou pour une république de ne point venger une injure faite soit au gouvernement, soit à un particulier.


On voit un exemple frappant des résolutions qu’inspire aux hommes une juste colère, dans ce qui arriva