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leurs sujets, ils auraient aperçu plus tôt les périls dans lesquels ils se précipitaient ; et, revenant sur leurs pas, ils auraient pu alors résister plus courageusement à l’impétuosité française, avec des sujets amis et point de forteresse, qu’avec une forteresse et des sujets ennemis.

Les places fortes ne sont utiles sous aucun rapport ; on les perd par la trahison de celui qui les garde, par la vigueur de celui qui les attaque, ou par le défaut de vivres. Mais si l’on veut en tirer parti et s’en aider pour recouvrer un État perdu, où il ne vous reste plus que la forteresse, il faut nécessairement avoir une armée avec laquelle on puisse combattre celui qui vous a chassé ; et s’il arrive que vous possédiez cette armée, vous recouvrerez vos États, quand même vous n’auriez pas de place forte ; et vous réussirez d’autant plus facilement que vous pourrez compter davantage sur l’affection de vos sujets, auxquels, dans l’orgueil que vous aurait inspiré une citadelle, vous n’aurez point prodigué les mauvais traitements.

L’expérience a démontré que cette même citadelle de Milan n’a été d’aucune utilité, dans leurs jours d’adversité, ni aux Sforza ni aux Français ; qu’elle a même causé la ruine de tous deux, parce que, tandis qu’ils la possédèrent, ils ne pensèrent point à gouverner l’État d’une manière plus modérée.

Guido Ubaldo, duc d’Urbin, fils de ce Federigo qui, de son temps, eut la réputation d’un si grand capitaine, avait été chassé de ses États par César Borgia, fils du pape Alexandre VI. L’occasion de les recouvrer s’étant offerte à lui, il fit soudain raser toutes les forteresses que le pays renfermait dans son sein, les regardant comme dangereuses. Comme il était chéri de ses sujets, il n’en voulait point, par égard pour eux ; quant aux ennemis, il sentait bien qu’il ne pourrait les défendre contre eux qu’en ayant sans cesse une armée en campagne ; c’est pourquoi il prit le parti de les détruire.