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même des généraux qui, pour mieux affaiblir leur ennemi, l’ont laissé pénétrer, pendant plusieurs jours de marche, dans l’intérieur du pays, et s’emparer d’un grand nombre de places, afin que la nécessité de laisser des garnisons dans chacune d’elles diminuât son armée, et qu’ils pussent la combattre avec plus d’avantage.

Mais, pour exprimer à mon tour ma façon de penser, je crois qu’il faut faire ici une distinction : ou mon pays est toujours sous les armes, comme l’était autrefois Rome, comme le sont aujourd’hui les Suisses, ou il est dépourvu d’armées, comme autrefois les Carthaginois, comme le sont de nos jours le royaume de France et les États d’Italie. Dans ce dernier cas, il faut tenir l’ennemi loin de ses foyers ; car, lorsque la force d’un État consiste dans l’or et non dans le courage des sujets, toutes les fois que la source de cet or est tarie, vous êtes perdu ; et rien ne vous prive de cette ressource comme une guerre intérieure : les Carthaginois et les Florentins en offrent un exemple frappant. Tant que le pays des premiers fut à l’abri des ravages de la guerre, leurs revenus leur suffirent pour résister à la puissance des Romains ; lorsqu’elle attaqua leurs foyers, ils ne purent résister même à Agathocle.

Les Florentins ne savaient comment se défendre contre Castruccio, seigneur de Lucques, parce qu’il était venu les attaquer dans le cœur de leurs États ; ils se virent donc contraints de se jeter dans les bras de Robert, roi de Naples, pour qu’il embrassât leur défense. Mais à peine Castruccio avait-il cessé de vivre que ces mêmes Florentins ne craignirent pas d’attaquer le duc de Milan jusque chez lui, et de tenter de lui enlever ses États ; tant ils montrèrent de courage dans les guerres lointaines, et de lâcheté dans celles qui les menaçaient de près !

Mais quand un peuple ne quitte point les armes, comme Rome autrefois, et de nos jours la Suisse, plus on l’at-