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une population nombreuse, une cité ne parviendra jamais à s’agrandir. On y parvient de deux manières : par l’affection ou par la force. Par l’affection, en tenant toutes les voies ouvertes aux étrangers qui voudraient y venir habiter, et en leur accordant sûreté, de manière à ce que chacun s’y fixe volontiers. Par la force, en détruisant entièrement les villes voisines, et en forçant leurs habitants à venir habiter dans vos murs. Rome fut tellement fidèle à ce système, que déjà sous son sixième roi elle renfermait dans son sein quatre-vingt mille hommes en état de porter les armes. Les Romains voulaient imiter un habile cultivateur, qui, pour fortifier un jeune plant, et en faire parvenir les fruits à leur maturité, s’empresse d’en tailler les premiers bourgeons, afin que toute la force productive, retenue dans les racines, donne avec le temps des rameaux plus verts et plus féconds.

L’exemple de Sparte et d’Athènes démontre encore combien un pareil moyen est propice et nécessaire pour s’agrandir et former un État puissant. Ces deux républiques, également redoutables par la force de leurs armes, et régies par les lois les plus sages, ne parvinrent cependant jamais au même degré de grandeur que Rome, qui semblait exposée à de plus grands désordres et soumise à des lois moins sagement combinées. On ne peut en donner d’autres raisons que celles que nous avons déjà alléguées. En effet, Rome, pour avoir accru sa population par ce double moyen, parvint à mettre sous les armes jusqu’à deux cent quatre-vingt mille combattants ; tandis qu’Athènes et Sparte n’en purent jamais armer chacune plus de vingt mille.

Ce n’est point parce que Rome était dans un site plus propice que celui de ces deux villes qu’elle obtint un plus heureux résultat, mais c’est seulement parce que sa conduite fut différente. Lycurgue, le fondateur de la république de Sparte, convaincu que rien ne hâterait plus