Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/338

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régnait alors et celles de la confusion qui le remplaça : dans les temps passés, les peuples étaient libres, et aujourd’hui ils vivent dans l’esclavage. Ainsi que nous l’avons dit, toutes les cités, tous les États qui vivent sous l’égide de la liberté, en quelque lieu qu’ils existent, obtiennent toujours les plus grands succès : c’est là que la population est la plus nombreuse, parce que les mariages y sont plus libres, et que l’on en recherche davantage les liens ; c’est là que le citoyen voit naître avec joie des fils qu’il croit pouvoir nourrir, et dont il ne craint pas qu’on ravisse le patrimoine ; c’est là, surtout, qu’il est certain d’avoir donné le jour non à des esclaves, mais à des hommes libres, capables de se placer, par leur vertu, à la tête de la république : on y voit les richesses multipliées de toutes parts, et celles que produit l’agriculture, et celles qui naissent de l’industrie ; chacun cherche avec empressement à augmenter et à posséder les biens dont il croit pouvoir jouir après les avoir acquis. Il en résulte que les citoyens se livrent à l’envi à tout ce qui peut tourner à l’avantage de chacun en particulier et de tous en général, et que la prospérité publique s’accroît de jour en jour d’une manière merveilleuse.

Le contraire arrive aux pays qui vivent dans l’esclavage : plus leur servitude est cruelle, plus ils manquent d’un bien qui est la commune propriété. De toutes les servitudes, en effet, la plus dure est celle qui règne dans une république : d’abord parce qu’elle est plus durable et qu’elle offre moins d’espoir d’y échapper ; ensuite, parce qu’une république n’a d’autre vue que d’affaiblir et d’énerver tous les autres corps pour accroître le sien.

Ce n’est pas ainsi qu’en agit un prince qui vous subjugue, à moins que ce ne soit quelqu’un de ces vainqueurs barbares, fléau de toutes les nations, et destructeur de toutes les institutions civiles, comme le sont les princes d’Orient ; mais s’il n’est pas dépourvu d’humanité, s’il possède quelques lumières, il aime d’une