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la grandeur et la défense de la patrie, ils auraient vu qu’elle veut également que nous aimions et que nous honorions cette patrie, et qu’il fallait ainsi que nous nous préparassions à devenir capables de la défendre.

Ces fausses interprétations, qui corrompent l’éducation, sont cause qu’on ne voit plus au monde autant de républiques que dans l’antiquité, et que, par conséquent, il n’existe plus de nos jours, autant qu’alors, d’amour pour la liberté. Je croirais cependant que ce qui a le plus contribué à ces changements, c’est l’empire romain, dont les armes et les conquêtes ont renversé toutes les républiques et tous les États qui jouissaient d’un gouvernement libre ; et quoique cet empire ait été dissous, ses débris n’ont pu se rejoindre, ni jouir de nouveau des bienfaits de la vie civile, excepté sur quelques points de ce vaste empire.

Quoi qu’il en soit, les Romains rencontrèrent dans le monde entier toutes les républiques conjurées contre eux, et acharnées à la guerre et à la défense de leur liberté : ce qui prouve que le peuple romain, sans le courage le plus rare et le plus élevé, n’aurait jamais pu les subjuguer. Et pour en donner un exemple, celui des Samnites me suffira ; il est vraiment admirable. Tite-Live avoue lui-même que ces peuples étaient si puissants, et leurs armes si redoutables, qu’ils vinrent à bout de résister aux Romains jusqu’au temps du consul Papirius Cursor, fils du premier Papirius, c’est-à-dire pendant quarante-six ans, malgré leurs nombreux désastres, la ruine de presque toutes leurs villes, et les défaites sanglantes et réitérées qu’ils éprouvèrent dans leur pays. Quoi de plus merveilleux que de voir aujourd’hui ce pays, jadis couvert de tant de villes et rempli d’une population si florissante, changé presque en désert, tandis qu’alors ses institutions et ses forces l’auraient rendu invincible, si toute la puissance de Rome ne l’avait attaqué !

Il est facile de déterminer les causes de l’ordre qui