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Tite-Live paraît avoir partagé cette opinion ; car il est rare, lorsqu’il met dans la bouche d’un Romain le récit d’une action éclatante, qu’il ne lui en fasse pas attribuer quelque part à la fortune.

Non-seulement je ne veux sur aucun point me rendre à cette opinion, mais je ne crois pas qu’on puisse la soutenir. S’il n’a jamais existé une république qui ait fait les mêmes progrès que Rome, c’est que jamais république n’a reçu comme elle des institutions propres à lui faire faire des conquêtes. C’est au courage de ses armées qu’elle dut l’empire ; mais c’est à sa sagesse, à sa conduite, et au caractère particulier que sut lui imprimer son premier législateur, qu’elle dut la conservation de ses conquêtes, ainsi que nous le ferons amplement voir dans plusieurs des chapitres suivants.

Les uns regardent comme un effet du bonheur et non de la sagesse du peuple romain, de n’avoir jamais eu à soutenir en même temps deux guerres dangereuses ; car il n’eut la guerre avec les Latins que lorsque ces derniers eurent tellement battu les Samnites, que Rome crut devoir prendre leur défense. Il ne combattit les Toscans qu’après avoir d’abord subjugué les Latins, et affaibli par de fréquentes défaites la puissance des Samnites. Si deux de ces peuples s’étaient réunis lorsque leurs forces étaient intactes, on peut conjecturer sans peine que la ruine de la république romaine eût été la suite inévitable de cette alliance.

Mais, de quelque manière que cela soit arrivé, les Romains n’eurent jamais à porter en même temps le fardeau de deux guerres dangereuses ; et il semble que toujours la naissance de l’une fût l’extinction de l’autre, ou que l’extinction de la dernière donnât naissance à une nouvelle. Les guerres successives qu’ils eurent à soutenir sont la preuve de ce que j’avance ; et, sans parler de celles qui précédèrent la prise de Rome par les Gaulois, on voit que, tandis qu’ils combattirent contre les Éques