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dant plusieurs jours, sa conduite ferme et courageuse fit l’entretien de toute la ville.

Je conclus donc qu’il n’existe pas de moyen plus puissant et plus nécessaire pour réprimer une multitude soulevée, que la présence d’un homme qui paraisse respectable ou qui le soit réellement.

On voit, en outre, pour en revenir à mon sujet, que l’opiniâtreté du peuple romain à vouloir se transporter à Véïes, provenait de ce qu’il croyait cette mesure utile et ne voyait pas les inconvénients qu’elle cachait ; et que les tumultes qui s’étaient déjà élevés se seraient changés en troubles sérieux, si le sénat n’avait opposé à la fureur du peuple des hommes dont la sagesse et les vertus inspiraient le respect.



CHAPITRE LV.


On gouverne sans peine un État dont le peuple n’est pas corrompu : là où l’égalité existe il ne peut se former une principauté, et là où elle ne se trouve point on ne peut établir de république.


Quoique je me sois déjà étendu sur ce qu’on doit espérer ou craindre d’une ville corrompue, cependant il ne me paraît pas hors de propos de m’arrêter sur une délibération du sénat relativement à un vœu qu’avait fait Camille, de consacrer à Apollon la dixième partie des dépouilles de Véïes. Ce butin était tombé entre les mains du peuple romain, et, comme il était désormais impossible d’en connaître le montant, le sénat rendit un décret pour obliger chaque citoyen à rapporter au trésor public la dixième partie de ce qu’il avait enlevé. Quoique ce décret fût demeuré sans exécution, et que le sénat s’y fût pris d’une autre manière pour satisfaire tout à la fois Apollon et le peuple, néanmoins une telle résolution prouve combien on comptait sur la vertu de ce dernier,