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qu’éprouva Cicéron lorsque, voulant détruire l’influence d’Antoine, il ne fit que l’augmenter. Antoine avait été déclaré ennemi du sénat ; il rassembla soudain une armée formidable, composée en grande partie de soldats qui avaient marché sous les aigles de César. Cicéron, pour lui enlever ses soldats, exhorta le sénat à donner toute sa confiance à Octave, et à l’envoyer avec l’armée de la république et les consuls contre Marc-Antoine, alléguant pour motif qu’à peine les soldats, qui suivaient leur ennemi, auraient entendu le nom d’Octave, neveu du dictateur, et qui se faisait aussi nommer César, ils déserteraient le parti opposé et se réuniraient à Octave, de manière que Marc-Antoine, dépouillé de tous ses partisans, serait facilement renversé. L’avis de Cicéron eut une issue tout opposée à celle qu’on présumait. Marc-Antoine sut gagner Octave, et tous deux se réunirent aux dépens de Cicéron et du sénat ; alliance funeste, qui perdit pour jamais le parti des grands. Rien n’était plus facile à prévoir. Ce n’était pas le conseil de Cicéron qu’il fallait suivre ; mais c’était le nom de César qu’on devait craindre, ce nom dont la gloire avait dissipé tous ses ennemis, et qui lui avait acquis dans Rome un pouvoir suprême ; et l’on ne devait attendre des héritiers du dictateur ou de ses complices rien de favorable à la liberté.



CHAPITRE LIII.


Souvent le peuple désire sa ruine, trompé par la fausse apparence ; et rien n’est plus facile que de l’entraîner par de vastes espérances et des promesses éblouissantes.


Après la prise de Véïes, le bruit se répandit parmi le peuple romain qu’il serait avantageux pour Rome que la moitié de ses habitants allât habiter Véïes. On faisait