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fut de changer trop subitement de caractère et de direction. La dissimulation avec laquelle il sut tromper le peuple en feignant d’être son ami fut utile à ses vues ; il en est de même de la conduite qu’il tint pour faire renouveler le décemvirat ; on peut également applaudir à l’audace qu’il déploya, en osant se désigner lui-même, contre l’attente de la noblesse ; il fit bien encore de s’adjoindre des collègues à son choix ; mais il se conduisit avec imprudence, lorsqu’ayant réussi il changea tout à coup de caractère, et se montra l’ennemi du peuple, de son ami qu’il était ; lui, qu’on avait vu affable et accessible à tous, on le vit plein de roideur et d’orgueil, et il se jeta si subitement dans des défauts contraires à ses premières qualités, que la fausseté de son âme dut frapper sans peine les yeux les plus prévenus ; car celui qui pendant un certain temps a paru vertueux, et prétend se livrer sans contrainte à sa perversité naturelle, doit y parvenir par degrés. Il faut se servir de toutes les facilités que présente l’occasion, de manière qu’avant qu’une conduite tout à fait opposée vous ravisse les anciennes faveurs du peuple, vous en ayez acquis d’un autre côté tant de nouvelles, que votre autorité n’en souffre point d’atteinte. En vous conduisant d’une manière différente, vous vous trouvez à découvert, sans amis, et votre perte est assurée.



CHAPITRE XLII.


Combien les hommes peuvent aisément se corrompre.


Le décemvirat nous fournira encore un exemple de la facilité avec laquelle les hommes se laissent corrompre, et avec quelle promptitude ils changent de caractère, quoique d’un naturel heureux et cultivé par l’éducation. Il suffit de considérer comment toute cette jeunesse