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ne pouvant prendre sur soi-même d’agir, il est besoin de se consulter mutuellement ; et la nécessité de réunir toutes les volontés au moment nécessaire rend toutes les mesures extrêmement dangereuses quand il faut remédier à un mal inattendu et qui n’admet point de délai. Il est donc nécessaire, parmi les institutions d’une république, d’en avoir une semblable à la dictature.

La république de Venise, qui, dans les temps modernes, s’est rendue célèbre entre tous les gouvernements de ce genre, a confié à un petit nombre de citoyens le pouvoir d’agir de concert dans les besoins urgents et sans prendre de plus longs avis. Dans une république où manque un semblable pouvoir, il faut ou que l’État respecte toutes les formalités des lois, et sa chute alors est certaine, ou qu’il cherche son salut dans leur violation. Il serait à désirer qu’il ne survînt jamais dans une république d’événements auxquels on dût remédier par des moyens extraordinaires. Car, bien que les voies extralégales fussent utiles alors, l’exemple néanmoins en serait toujours dangereux. On commence d’abord par porter atteinte aux institutions existantes dans la vue de servir l’État, et bientôt, sous le même prétexte, on les renverse pour le perdre. Ainsi, une république ne sera jamais parfaite si ses lois n’ont point prévu tous les accidents, si elles n’ont point obvié à ceux qui pourraient survenir, et enseigné les moyens de les diriger. Je conclus donc en disant que les républiques qui, dans les périls imminents, ne peuvent recourir ni à un dictateur, ni à toute autre institution semblable, ne sauraient éviter leur ruine.

Une chose digne de remarque dans cette nouvelle institution, c’est la sagesse que montrèrent les Romains dans la manière de procéder à l’élection du dictateur. Comme cette dignité avait quelque chose d’offensant pour les consuls, qui, de chefs du gouvernement, devaient, comme le reste des citoyens, reconnaître une