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La même chose arriva dans Rome avec César. Pompée et les autres citoyens avaient d’abord favorisé son courage ; mais leur bienveillance se changea bientôt en craintes, ainsi que le témoigne Cicéron, lorsqu’il dit que Pompée commença trop tard à se méfier de César. La crainte leur fit penser aux remèdes, mais ceux qu’ils employèrent ne firent qu’accélérer la ruine de la république.

Ainsi, puisqu’il est difficile de prévoir, à leur origine, des maux que cache l’illusion qui environne toutes les institutions nouvelles, il est plus prudent de les endurer avec patience lorsqu’ils deviennent manifestes, que de vouloir les combattre imprudemment. En prenant le temps pour auxiliaire, ces maux s’évanouissent d’eux-mêmes, ou du moins on recule la catastrophe. Il faut donc que les chefs de l’État aient toujours les yeux ouverts sur les dangers qu’ils cherchent à éloigner, ou dont ils veulent réprimer la force ou la violence. Qu’ils craignent, en cherchant à les affaiblir, de leur donner une nouvelle force, de les attirer sur leur tête en croyant les repousser, d’étouffer la plante en pensant l’arroser. Mais il faut bien sonder la profondeur de la plaie : si vous croyez pouvoir la guérir, que nulle considération ne vous arrête, sinon il faut l’abandonner à la nature et ne tenter aucun remède ; autrement il en résulterait tous les inconvénients que j’ai déjà rapportés, et ce qui arriva aux peuples voisins de Rome.

Cette ville étant devenue pour eux trop puissante, il leur eût été bien plus avantageux de chercher à l’apaiser et à la retenir en arrière par les avantages de la paix, que de lui donner, par la guerre, la pensée d’employer de nouveaux moyens d’attaque et de défense. La ligue de tant de peuples contre sa liberté ne fit que fortifier dans Rome la concorde et le courage, et la porter à chercher de nouveaux moyens d’accroître le plus promptement possible sa puissance. La création d’un