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la contrainte avait arraché de vos mains, et elle croira ne vous devoir aucune reconnaissance. Si les Romains tirèrent un avantage du parti qu’ils avaient adopté, c’est que l’État était encore dans sa nouveauté et à peine affermi, et que le peuple avait vu comment déjà plusieurs lois à son avantage avaient été rendues, telles que celle de l’appel au jugement du peuple ; de sorte qu’il put croire que le nouveau bienfait qui lui était accordé avait moins pour cause l’approche de l’ennemi, que le penchant du sénat à faire son bonheur. D’ailleurs, le souvenir des outrages et du mépris dont ses rois l’avaient accablé était encore vivant dans sa mémoire.

Mais, comme de pareilles causes se réunissent rarement, il est rare aussi que les mêmes remèdes puissent être efficaces. En conséquence, république ou prince, on doit examiner d’abord de quels orages on est menacé, et de quels hommes on peut avoir besoin au moment du danger ; ensuite on doit se conduire envers eux de la manière dont on s’y croirait obligé dans le cas où quelque malheur surviendrait. Quiconque en agit différemment (soit prince, soit république, mais surtout un prince), et croit au moment du péril pouvoir regagner les hommes en les comblant de bienfaits, se trompe profondément. Loin de s’assurer leur appui, il ne fait que hâter sa ruine.



CHAPITRE XXXIII.


Lorsque quelque grand danger s’est élevé, soit au dedans, soit au dehors, contre un État, il vaut mieux temporiser avec le mal que de le heurter de front.


A mesure que la république romaine croissait en puissance, en force et en étendue, ses voisins, qui d’abord