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Rome et n’avait pas désespéré du salut de la république.

Quand Papirius Cursor voulut envoyer Fabius au supplice pour avoir, malgré son ordre, combattu les Samnites, parmi les raisons alléguées contre le dictateur par le père du coupable, la plus puissante fut que, dans leurs plus grands revers, les Romains n’avaient jamais traité leurs généraux vaincus avec la sévérité que Papirius voulait qu’on exerçât envers un homme qui avait remporté la victoire.



CHAPITRE XXXII.


Une république ou un prince ne doit jamais différer trop longtemps à soulager le peuple dans ses besoins.


Les Romains réussirent une fois à se montrer sans inconvénient généreux envers le peuple, à l’instant même du danger ; ce fut lorsque Porsenna vint assiéger Rome pour y remettre les Tarquins sur le trône. Le sénat, comptant peu sur la multitude, qu’il soupçonnait d’être prête à servir les rois plutôt qu’à soutenir la guerre, la déchargea de l’impôt sur le sel et des autres contributions, afin de se la rendre favorable, en disant « que les pauvres faisaient assez pour le bien public en élevant leurs enfants ; » le peuple, gagné par ce bienfait, ne balança pas à soutenir l’assaut, et à supporter la famine et la guerre.

Mais que cet exemple n’engage point à attendre jusqu’au moment du péril pour tâcher de gagner le peuple ; ce qui réussit une fois aux Romains ne peut plus désormais réussir. La multitude ne dira pas que c’est de vous qu’elle tient un pareil bienfait, mais qu’elle le doit à vos ennemis ; elle craindra sans cesse que le péril une fois passé vous ne lui retiriez le bienfait que