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Et rien n’est plus vrai que ce que disent quelques écrivains politiques, que les peuples sont plus âpres dans leurs vengeances, lorsqu’ils ont recouvré leur liberté, que quand ils ne l’ont jamais perdue.

Si l’on réfléchit à ce que j’ai dit précédemment, il ne faut ni blâmer Athènes ni louer Rome de leur conduite ; il faut seulement en accuser la nécessité où les réduisirent les événements divers arrivés dans leur sein. On verra, en effet, si l’on examine attentivement la chose, que, si Rome s’était vue comme Athènes ravir sa liberté, elle n’eût pas été moins cruelle envers ses citoyens. Sa conduite à l’égard de Collatinus et de P. Valérius, lorsqu’elle eut chassé ses rois, en est une preuve évidente. Le premier, quoiqu’il eût contribué à la délivrance de Rome, fut envoyé en exil, seulement parce qu’il portait le nom de Tarquin ; le second fut sur le point de subir le même sort, pour avoir fait bâtir sur le mont Cœlius une maison qui éveilla les soupçons de ses compatriotes. On peut conclure de la conduite soupçonneuse et sévère de Rome, envers ces deux grands personnages, qu’elle n’eût pas été moins ingrate qu’Athènes, si, dans l’origine de sa liberté et à la naissance de sa grandeur, elle eût reçu de ses citoyens les mêmes offenses.

Et pour ne plus revenir sur ce qui regarde l’ingratitude, j’en ferai encore l’objet du chapitre suivant.



CHAPITRE XXIX.


Quel est le plus ingrat d’un peuple ou d’un prince.


La matière que je traite me conduit naturellement à examiner lesquels, des peuples ou des princes, ont donné les exemples d’ingratitude les plus frappants et les plus nombreux. Pour mieux éclaircir la question, je dirai