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Tout bien examiné, je conclus que la religion mise en honneur à Rome par Numa fut une des principales causes du bonheur de cette illustre cité, parce qu’elle introduisit dans son sein d’utiles règlements, qui enfantèrent à leur tour une heureuse fortune, et de cette fortune favorable découlèrent tous les succès qui couronnèrent ses entreprises. Et comme l’observance du culte divin est la source de la grandeur des États, de même la négligence pour le culte est la cause de la ruine des peuples. Où la crainte de Dieu n’existe pas, il faut que l’empire succombe, ou qu’il soit soutenu par celle d’un prince capable de tenir lieu de la religion. Et comme la vie d’un prince ne dure pas longtemps, ses États s’écroulent inévitablement sur leur base, aussitôt que l’appui de ses vertus vient à leur manquer. D’où il résulte que les gouvernements dont le sort dépend de la sagesse d’un seul homme sont de peu de durée, parce que cette vertu s’éteint avec la vie du prince, et que rarement sa vigueur épuisée reprend une nouvelle vie dans le successeur, ainsi que Dante l’a sagement exprimé dans les vers suivants :


« Rade volte discende per li rami
« L’omana probitate, e questo vuole
« Quel che la dà, perchè da lui si chiami. »


Il ne suffit donc point pour le bonheur d’une république ou d’un royaume d’avoir un prince qui gouverne avec sagesse pendant sa vie ; il est nécessaire d’en posséder un qui organise l’État de manière que même après sa mort le gouvernement demeure plein de vie. Quoiqu’il soit plus facile de faire goûter à des hommes encore barbares les douceurs de l’ordre et des institutions nouvelles, il n’est cependant pas impossible d’en inspirer l’amour à ceux qui sont civilisés ou qui se flattent de l’être. Les Florentins ne se croient ni ignorants ni grossiers, et cependant le frère Jérôme Savonarola leur fit