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CHAPITRE XXI.


Combien sont dignes de blâme le prince ou la république qui n’ont point d’armée nationale.


Les princes qui règnent de nos jours, et les modernes républiques qui n’ont point de soldats tirés de leurs propres États pour attaquer ou pour se défendre, devraient rougir, et voir, dans l’exemple que leur offre Tullus, que ce n’est pas au manque d’hommes propres à la guerre que cette erreur doit être imputée, mais que la faute en appartient à eux seuls, qui n’ont pas su faire des soldats de leurs sujets.

Rome, pendant quarante ans, avait joui des douceurs de la paix ; aussi Tullus, en montant sur le trône, ne trouva pas un seul Romain qui eût porté les armes. Néanmoins, quoiqu’il eût l’intention de faire la guerre, il ne voulut se servir ni des Samnites ni des Toscans, ni d’aucun autre peuple accoutumé à combattre ; mais, en prince éclairé, il résolut de ne s’aider que de ses propres sujets, et déploya dans ce projet une telle habileté, qu’en peu de temps il réussit à former d’excellents soldats.

C’est une des vérités les mieux démontrées, que si on manque de soldats là où il existe des hommes, la faute en est uniquement au prince, et que l’on ne doit en accuser ni le sol ni la nature. Nous en avons sous les yeux un exemple récent. Personne n’ignore que, dans ces derniers temps, le roi d’Angleterre ayant attaqué la France, ne tira ses troupes que du sein de son peuple ; et comme son royaume avait joui de plus de trente ans de paix, il ne s’y trouvait ni soldat ni capitaine qui eût porté les armes. Cependant il ne craignit pas d’assaillir avec eux un royaume rempli de chefs habiles et d’armées