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à la république, autant les calomnies lui deviennent nuisibles. Il faut faire attention que la calomnie n’a besoin ni de témoin ni de preuves, et que tout citoyen peut être en butte aux attaques du premier venu. Il n’en est pas de même des accusations qui ont besoin de preuves exactes, et de circonstances précises qui en démontrent l’évidence. On accuse les citoyens devant les magistrats, devant le peuple, devant les tribunaux ; on les calomnie sur les places publiques, dans les assemblées particulières. C’est surtout dans les États où l’accusation est le moins en usage, et dont les institutions ne sont point en harmonie avec ce système, que l’on use le plus de la calomnie.

Ainsi le fondateur d’une république doit établir pour principe qu’on pourra y accuser tout citoyen, sans crainte et sans danger ; mais ce droit établi et bien observé, les calomniateurs doivent être rigoureusement punis, et ils ne pourront se plaindre de la punition, s’il existe des tribunaux ouverts pour entendre leurs accusations contre ceux qu’ils se seraient bornés à calomnier dans les assemblées particulières. Partout où cette disposition n’est pas bien établie, on voit toujours naître les plus grands désordres. La calomnie, en effet, irrite les hommes et ne les corrige pas, et ceux qui sont irrités ne pensent qu’à poursuivre leur carrière, car ils détestent la calomnie plus qu’ils ne la redoutent.

Cette mesure était une des dispositions les mieux entendues du gouvernement de Rome ; mais elle a toujours été mal organisée dans notre ville de Florence. Comme l’ordre établi dans Rome y a produit les plus grands biens, de même à Florence le désordre contraire a été la source des maux les plus funestes. Celui qui lira l’histoire de cette ville verra combien la calomnie a poursuivi de tout temps les citoyens qui se sont trouvés mêlés dans les affaires de quelque importance. On disait de