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historiens de l’antiquité avaient été rendus à la lumière, les érudits en épuraient le texte, en surveillaient les copies et les éditions. Les philologues y étudiaient les propriétés et les beautés du langage ; les savants y cherchaient des dates et des concordances chronologiques ; le commun des lecteurs y trouvait le plaisir que procurent le récit des faits et la variété des événements. Mais personne encore n’avait songé à y puiser des leçons de politique et de conduite pour les peuples et les gouvernements. Machiavel eut le premier cette grande vue[1]. » — « Les faits historiques, dit à son tour Hoffman, rapportés dans les trois premiers livres de la Première Décade de Tite-Live, sont le prétexte plutôt que le texte des cent quarante-deux chapitres ou discours de Machiavel. Il élève successivement des questions de politique, d’administration ou d’art militaire, et il confirme les décisions qu’il prononce par des exemples pris non-seulement dans l’histoire romaine, mais dans celle de tous les peuples anciens et modernes. Il est vrai de dire que les faits contenus dans la Première Décade de Tite-Live sont cités bien plus souvent, et voilà sans doute ce qui a déterminé le titre de cet ouvrage. Mais il invoque souvent aussi le témoignage de Xénophon, de Tacite, etc., et il puise également dans l’histoire de Florence, dans celle des papes, dans celle de Venise, et même dans les annales de l’Empire, de la France et de l’Espagne. Ce livre pourrait donc s’appeler Discours sur l’histoire générale, et le titre n’en serait que plus juste. J’ai cru devoir faire cette observation pour que les lecteurs à qui cet ouvrage est inconnu n’aillent pas s’imaginer qu’un si grand nombre de discours se renferment dans le cadre étroit des premiers Siècles de Rome. On voit au contraire que, malgré le titre, la matière et la méthode de l’auteur présentent la plus grande variété, qualité bien nécessaire dans une discussion de longue haleine... On ne peut donner une idée plus juste de cet ouvrage qu’en disant qu’il est le contraire de toutes les utopies. L’auteur ne se crée point un monde imaginaire ; il ne rêve point un nouvel âge d’or ; il ne se figure pas des peuples tels qu’il n’en peut exister pour obéir à des princes tels qu’il n’y en a point. Partant toujours du principe que tous les hommes ne cherchent que leur bien personnel, lors même qu’ils se vantent de ne vouloir que le bien général, il les voit toujours disposés à s’affranchir de la gêne des lois, quoiqu’ils veuillent que leurs semblables y restent soumis. D’après

  1. Histoire littéraire d’Italie, t. VIII, p. 125 et 126.