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résister. Les Vénitiens, qui, je crois, pensaient à cet égard comme nos ancêtres, entretenaient les partis guelfe et gibelin dans les villes soumises à leur domination. À la vérité, ils ne laissaient pas aller les choses jusqu’à l’effusion du sang, mais ils fomentaient assez la division et les querelles pour que les habitants en fussent tellement occupés qu’ils ne songeassent point à sortir de l’obéissance. Cependant ils s’en trouvèrent mal ; et quand ils eurent perdu la bataille de Vailà, ces mêmes villes devinrent aussitôt audacieuses, et secouèrent le joug de l’autorité vénitienne.

Le prince qui emploie de pareils moyens décèle sa faiblesse et un gouvernement fort ne tolérera jamais les divisions : si elles sont de quelque utilité durant la paix, en donnant quelques facilités pour contenir les sujets, dès que la guerre s’allume, elles ne sont que funestes.

Les princes deviennent plus grands, sans doute, lorsqu’ils surmontent tous les obstacles qui s’opposaient à leur élévation. Aussi, quand la fortune veut agrandir un prince nouveau, qui a plus besoin qu’un prince héréditaire d’acquérir de la réputation, elle suscite autour de lui une foule d’ennemis contre lesquels elle le pousse, afin de lui fournir l’occasion d’en triompher, et lui donne ainsi l’occasion de s’élever au moyen d’une échelle que ses ennemis eux-mêmes lui fournissent. C’est pourquoi plusieurs personnes ont pensé qu’un prince sage doit, s’il le peut, entretenir avec adresse quelque inimitié, pour qu’en la surmontant il accroisse sa propre grandeur.

Les princes, et particulièrement les princes nouveaux, ont éprouvé que les hommes qui, au moment de l’établissement de leur puissance, leur avaient paru suspects, leur étaient plus fidèles et plus utiles que ceux qui d’abord s’étaient montrés dévoués. Pandolfo Petrucci, prince de Sienne, employait de préférence dans son gouvernement ceux que d’abord il avait suspectés.