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CHAPITRE XIX.

Pour ce qui est des sujets, ce que le prince peut en craindre, lorsqu’il est tranquille au dehors, c’est qu’ils ne conspirent secrètement contre lui ; mais, à cet égard, il est déjà bien garanti quand il a évité d’être haï et méprisé, et qu’il a fait en sorte que le peuple soit content de lui ; chose dont il est absolument nécessaire de venir à bout, ainsi que je l’ai établi. C’est là, en effet, la plus sûre garantie contre les conjurations ; car celui qui conjure croit toujours que la mort du prince sera agréable au peuple : s’il pensait qu’elle l’affligeât, il se garderait bien de concevoir un pareil dessein, qui présente de très grandes et de très nombreuses difficultés.

On sait par l’expérience que beaucoup de conjurations ont été formées, mais qu’il n’y en a que bien peu qui aient eu une heureuse issue. Un homme ne peut pas conjurer tout seul : il faut qu’il ait des associés ; et il ne peut en chercher que parmi ceux qu’il croit mécontents. Or, en confiant un projet de cette nature à un mécontent, on lui fournit le moyen de mettre un terme à son mécontentement ; car il peut compter qu’en révélant le secret, il sera amplement récompensé : et comme il voit là un profit assuré, tandis que la conjuration ne lui présente qu’incertitude et péril, il faut qu’il ait, pour ne point trahir, ou une amitié bien vive pour le conspirateur, ou une haine bien obstinée pour le prince. En peu de mots, le conspirateur est toujours troublé par le soupçon, la jalousie, la frayeur du châtiment ; au lieu que le prince a pour lui la majesté de l’empire, l’autorité des lois, l’appui de ses amis, et tout ce qui fait la défense de l’État ; et si à tout cela se joint la bienveillance du peuple, il est impossible qu’il se trouve quelqu’un d’assez téméraire pour conjurer ; car, en ce cas, le conspirateur n’a pas seulement à craindre les dangers qui précèdent l’exécution, il doit encore redouter ceux qui suivront, et contre lesquels, ayant le peuple pour ennemi, il ne lui restera aucun refuge.