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choses, de ce que l’on confond le motif avec le principe d’action, de ce que l’on prétend que l’esprit n’a point d’autre principe d’action que le motif, quoique l’esprit soit tout à fait passif en recevant l’impression du motif. Cette doctrine fait croire que l’esprit n’est pas plus actif que le serait une balance, si elle avait d’ailleurs la faculté d’apercevoir les choses : ce que l’on ne peut dire sans renverser entièrement l’idée de la liberté. Une balance poussée des deux côtés par une force égale ou pressée des deux côtés par des poids égaux ne peut avoir aucun mouvement. Et suppose que cette balance reçoive la faculté d’apercevoir en sorte qu’elle sache qu’il lui est impossible de se mouvoir, ou qu’elle se fasse illusion, en s’imaginant qu’elle se meut elle-même, quoiqu’elle n’ait qu’un mouvement communiqué ; elle se trouverait précisément dans le même état, où le savant auteur suppose que se trouve un agent libre, dans tous les cas d’une indifférence absolue. Voici en quoi consiste la fausseté de l’argument dont il s’agit ici. La balance, faute d’avoir en elle-même un principe d’action, ne peut se mouvoir lorsque les poids sont égaux ; mais un agent libre, lorsqu’il se présente deux ou plusieurs manières d’agir également raisonnables et parfaitement semblables, conserve encore en lui-même le pouvoir d’agir parce qu’il a la faculté de se mouvoir. De plus, cet agent libre peut avoir de très bonnes et de très fortes raisons, pour ne pas s’abstenir entièrement d’agir ; quoique peut-être il n’y ait aucune raison qui puisse déterminer qu’une certaine manière d’agir vaut mieux qu’une autre. On ne peut donc soutenir que, supposé que deux différentes manières de placer certaines particules de matière fussent également bonnes et raisonnables, Dieu ne pourrait absolument, ni conformément à sa sagesse, les placer d’aucune de ces deux manières, faute d’une raison suffisante, qui pût le déterminer à choisir l’une préférablement à l’autre : on ne peut, dis-je, soutenir une telle chose, sans faire Dieu un être purement passif ; et par conséquent il ne serait point Dieu ou le gouverneur du monde. Et quand on nie la possibilité de cette supposition, savoir, qu’il peut y avoir deux parties égales de matière, dont la situation peut être également bien transposée, on n’en saurait alléguer d’autre raison que cette pétition de principe ; savoir, qu’en ce cas-là ce que le savant auteur dit d’une raison suffisante ne serait pas bien fondé. Car, sans cela, comment peut-on dire qu’il est impossible que Dieu puisse avoir de bonnes raisons pour créer plusieurs particules de matière parfaitement semblables en différents