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serviabilité. Il n’y a point de mouvement, quand il n’y a point de changement observable. Et même quand il n’y a point de changement observable, il n’y a point de changement du tout. Le contraire est fondé sur la supposition d’un espace réel absolu, que j’ai réfuté démonstrativement par le principe du besoin d’une raison suffisante des choses.

53. Je ne trouve rien dans la définition huitième des Principes mathématiques de la nature, ni dans le scholie de cette définition, qui prouve, ou puisse prouver la réalité de l’espace en soi. Cependant j’accorde qu’il y a de la différence entre un mouvement absolu véritable d’un corps, et un simple changement relatif de la situation par rapport à un autre corps. Car lorsque la cause immédiate du changement est dans le corps, il est véritablement en mouvement ; et alors la situation des autres, par rapport à lui, sera changée par conséquence, quoique la cause de ce changement ne soit point en eux. Il est vrai qu’à parler exactement, il n’y a point de corps qui soit parfaitement et entièrement en repos ; mais c’est de quoi on fait abstraction, en considérant la chose mathématiquement. Ainsi je n’ai rien laissé sans réponse, de tout ce qu’on a alléguée pour la réalité absolue de l’espace. Et j’ai démontré la fausseté de cette réalité, par un principe fondamental des plus raisonnables et des plus éprouvés, contre lequel on ne saurait trouver aucune exception ni instance. Au reste, on peut juger, par tout ce que je viens de dire, que je ne dois point admettre un univers mobile, ni aucune place hors de l’univers matériel.

Sur le § 14.

54. Je ne connais aucune objection, à laquelle je ne croie avoir répondu suffisamment. Et quant à cette objection, que l’espace et le temps sont des quantités, ou plutôt des choses douées de quantité, et que la situation et l’ordre ne le sont point, je réponds que l’ordre a aussi sa quantité ; il a ce qui précède et ce qui suit ; il y a distance ou intervalle. Les choses relatives ont leur quantité, aussi bien que les absolues. Par exemple, les raisons ou proportions dans les mathématiques ont leur quantité, et se mesurent par les logarithmes ; et cependant ce sont des relations. Ainsi, quoique le temps et l’espace consistent en rapports, ils ne laissent pas d’avoir leur quantité.