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formation des plantes et des animaux, etc. Cependant, ce ne sont pas des miracles, parce que ce sont des choses communes. Il ne s’ensuit pourtant pas de là que tout ce qui est rare et extraordinaire soit un miracle. Car plusieurs choses de cette nature peuvent être des effets irréguliers et moins communs, des causes ordinaires ; comme les éclipses, les monstres, la manie dans les hommes, et une infinité d’autres choses que le vulgaire appelle des prodiges.

44. On accorde ici ce que j’ai dit. On soutient pourtant une chose contraire au sentiment commun des théologiens, en supposant qu’un ange peut faire des miracles.

45. Il est vrai que, si un corps en attirait un autre, sans l’intervention d’aucun moyen, ce ne serait pas un miracle, mais une contradiction ; car ce serait supposer qu’une chose agit où elle n’est pas. Mais le moyen par lequel deux corps s’attirent l’un l’autre peut être invisible et intangible, et d’une nature différente du mécanisme : ce qui n’empêche pas qu’une action régulière et constante ne puisse être appelée naturelle, puisqu’elle est beaucoup moins merveilleuse que le mouvement des animaux, qui ne passe pourtant pas pour un miracle.

46. Si par le terme de forces naturelles on entend ici des forces mécaniques, tous les animaux, sans excepter les hommes, seront de pures machines, comme une horloge. Mais si ce terme ne signifie pas des forces mécaniques, la gravitation peut être produite par des forces régulières et naturelles, quoiqu’elles ne soient pas mécaniques.

N. B. On a déjà répondu ci-dessus aux arguments que M.  Leibniz a insérés dans une apostille à son quatrième écrit. La seule chose qu’il soit besoin d’observer ici, c’est que M.  Leibniz, en soutenant l’impossibilité des atomes physiques (il ne s’agit pas entre nous des points mathématiques), soutient une absurdité manifeste. Car où il y a des parties parfaitement solides dans la matière, où il n’y en a pas. S’il y en a, et qu’en les subdivisant on y prenne de nouvelles particules, qui aient toutes la même figure et les mêmes dimensions (ce qui est toujours possible), ces nouvelles particules seront des atomes physiques parfaitement semblables. Que s’il n’y a point de parties parfaitement solides dans la matière, il n’y a point de matière dans l’univers ; car plus on divise et subdivise un corps, pour arriver enfin à des parties parfaitement solides et sans pores, plus la proportion que les pores ont à la matière solide de ce corps, plus, dis-je, cette proportion augmente. Si donc, en poussant la division et la subdivision à l’infini, il est impossible d’arriver à des parties parfaitement solides et sans pores, il s’ensuivra que les corps sont uniquement composés de pores (le rapport de ceux-ci aux parties solides augmentant sans cesse), et par conséquent qu’il n’y a point de matière du tout ; ce qui est une absurdité manifeste. Et le raisonnement sera le même, par rapport à la matière dont les espèces particulières des corps sont composées, soit que l’on suppose que les pores sont vides, ou qu’ils sont remplis d’une matière étrangère.