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espaces sont réellement distincts l’un de l’autre, quoiqu’ils soient parfaitement semblables. D’ailleurs, si l’on suppose que l’espace n’est point réel, et qu’il n’est simplement que l’ordre et l’arrangement des corps, il s’ensuivra une absurdité palpable. Car selon cette idée, si la terre, le soleil et la lune avaient été placés ou les étoiles fixes les plus éloignées se trouvent à présent (pourvu qu’ils eussent été placés dans le même ordre et à la même distance l’un de l’autre), non seulement c’eût été la même chose, comme le savant auteur le dit très bien ; mais il s’ensuivrait aussi que la terre, le soleil et la lune seraient en ce cas-la dans le même lieu, où ils sont présentement : ce qui est une contradiction manifeste.

Les Anciens n’ont point dit que tout espace destitué de corps était un espace imaginaire : ils n’ont donné ce nom qu’a l’espace qui est au delà du monde. Et ils n’ont pas voulu dire par la que cet espace n’est pas réel ; mais seulement que nous ignorons entièrement quelles sortes de choses il y a dans cet espace. J’ajoute que les auteurs qui ont quelquefois employé le mot d’imaginaire pour marquer que l’espace n’était pas réel n’ont point prouvé ce qu’ils avançaient par le simple usage de ce terme.

3. L’espace n’est pas une substance, un être éternel et infini, mais une propriété, ou une suite de l’existence d’un être infini et éternel. L’espace infini est l’immensité, mais l’immensité n’est pas Dieu ; donc l’espace infini n’est pas Dieu. Ce que l’on dit ici des parties de l’espace n’est point une difficulté. L’espace infini est absolument et essentiellement indivisible : et c’est une contradiction dans les termes que de supposer qu’il soit divisé ; car il faudrait qu’il eût un espace entre les parties que l’on suppose divisées ; ce qui est supposer que l’espace est divisé et non divisé en même temps. Quoique Dieu soit immense ou présent partout, sa substance n’en est pourtant pas plus divisée en parties que son existence l’est par la durée. La difficulté que l’on fait ici vient uniquement de l’abus du mot de partie.

4. Si l’espace n’était que l’ordre des choses qui coexistent, il s’ensuivrait que, si Dieu faisait mouvoir le monde tout entier en ligne droite, quelque degré de vitesse qu’il eût, il ne laisserait pas d’être toujours dans le même lieu ; et que rien ne recevrait aucun choc, quoique ce mouvement fût arrêté subitement. Et si le temps n’était qu’un ordre de succession dans les créatures, il s’ensuivrait que, si Dieu avait créé le monde quelques millions d’autres plus tôt, il