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demeurant la même. Mais cela même prouve que les instants hors des choses ne sont rien, et qu’ils ne consistent que dans leur ordre successif ; lequel demeurant le même, l’un des deux états, comme celui de l’anticipation imaginée, ne différerait en rien, et ne saurait être discerné de l’autre qui est maintenant.,

7. On voit par tout ce que je viens de dire que mon axiome n’a pas été bien pris ; et qu’en semblant l’accorder on le refuse. Il est vrai, dit-on, qu’il n’y a rien sans une raison suffisante pourquoi il est, et pourquoi il est ainsi plutôt qu’autrement : mais on ajoute que cette raison suffisante est souvent la simple volonté de Dieu ; comme lorsqu’on demande pourquoi la matière n’a pas été placée autrement dans l’espace, les mêmes situations entre les corps demeurant gardées. Mais c’est justement soutenir que Dieu veut quelque chose, sans qu’il y ait aucune raison suffisante de sa volonté, contre l’axiome, ou la règle générale de tout ce qui arrive. C’est retomber dans l’indifférence vague, que j’ai montrée chimérique absolument, même dans les créatures, et contraire il la sagesse de Dieu, comme s’il pouvait opérer sans agir par raison.

8. On m’objecte qu’en n’admettant point cette simple volonté, ce serait ôter à Dieu le pouvoir de choisir, et tomber dans la fatalité. Mais c’est tout le contraire : on soutient en Dieu le pouvoir de choisir, puisqu’on le fonde sur la raison du choix conforme à sa sagesse. Et ce n’est pas cette fatalité (qui n’est autre chose que l’ordre le plus sage de la Providence), mais une fatalité ou nécessité brute, qu’il faut éviter où il n’y a ni sagesse ni choix.

9. J’avais remarqué qu’en diminuant la quantité de la matière on diminue la quantité des objets où Dieu peut exercer sa bonté. On me répond qu’au lieu de la matière il y a d’autres choses dans le vide, où il ne laisse pas de l’exercer. Soit ; quoique je n’en demeure point d’accord ; car je tiens que toute substance créée est accompagnée de matière. Mais soit, dis-je : je réponds que plus de matière était compatible avec ces mêmes choses ; et par conséquent, c’est toujours diminuer ledit objet. L’instance d’un plus grand nombre d’hommes ou d’animaux ne convient point ; car ils ôteraient la place à d’autres choses.

10. Il sera difficile de nous faire accroire que dans l’usage ordinaire sensorium ne signifie pas l’organe de la sensation. Voici les paroles de Rodolphus Goelenius, dans son : Dictionarium philosophicum, v. Sensitorium : Barbarum Scholasticorum, dit-il, qui interdum sunt