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des notions innées

sont confuses, et les vérités qui en dépendent le sont aussi, au moins en partie, au lieu que les idées intellectuelles et les vérités qui en dépendent sont distinctes, et ni les unes ni les autres n’ont point leur origine des sens ; quoiqu’il soit vrai que nous n’y penserions jamais sans les sens.

Ph. Mais, selon vous, les nombres sont des idées intellectuelles et cependant il se trouve que la difficulté y dépend de la formation expresse des idées ; par exemple un homme sait que 18 et 19 sont égaux à 37, avec la même évidence qu’il sait qu’un et deux sont égaux à trois ; mais pourtant un enfant ne connaît pas la première proposition sitôt que la seconde, ce qui vient de ce qu’il n’a pas sitôt formé les idées que les mots.

Th. Je puis vous accorder que souvent la difficulté qu’il y a dans la formation expresse des vérités dépend de celle qu’il y a dans la formation expresse des idées. Cependant je crois que dans votre exemple, il s’agit de se servir des idées déjà formées. Car ceux qui ont appris à compter jusqu’à 10 et la manière de passer plus avant par une certaine réplication de dizaines, entendent sans peine ce que c’est que 18, 19, 37, savoir une, deux ou trois fois 10, avec 8, ou 9, ou 7 ; mais pour en tirer que 18 plus 19 fait 37, il faut bien plus d’attention que pour connaître que 2 plus 1 sont 3, ce qui dans le fond n’est que la définition de trois.

§ 10 Ph. Ce n’est pas un privilège attaché aux nombres ou aux idées que vous appelez intellectuelles, de fournir des propositions auxquelles on acquiesce infailliblement, dès qu’on les entend. On en rencontre aussi dans la physique et dans toutes les autres sciences, et les sens même en fournissent. Par exemple, cette proposition : deux corps ne peuvent pas être en un même lieu à la fois, est une vérité dont on n’est pas autrement persuadé que des maximes suivantes : « Il est impossible qu’une chose soit et ne soit pas en même temps ; le blanc n’est pas le rouge, le carré n’est pas un cercle, la couleur jaune n’est pas la douceur. »

Th. Il y a de la différence entre ces propositions. La première qui prononce que la pénétration des corps est impossible, a besoin de preuve. Tous ceux qui croient des condensations et des raréfactions véritables et prises à la rigueur, comme les péripatéticiens et feu M. le chevalier Digby, la rejettent en effet ; sans parler des chrétiens, qui croient la plupart que le contraire, savoir la pénétration des dimensions, est possible à Dieu. Mais les autres propositions sont