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choses comme si elles étaient des images formées par un certain moyen ou par des organes ; mais comme des choses réelles, que Dieu lui-même a formées, et qu’il voit dans tous les lieux où elles sont, sans l’intervention d’aucun moyen, C’est tout ce que M.  Newton a voulu dire par la comparaison, dont il s’est servi, lorsqu’il suppose que l’espace infini est, pour ainsi dire, le Sensorium de l’Être qui est présent partout.

4. Si parmi les hommes, un ouvrier passe avec raison pour être d’autant plus habile, que la machine qu’il a faite continue plus longtemps d’avoir un mouvement réglé, sans qu’elle ait besoin d’être retouchée, c’est parce que l’habileté de tous les ouvriers humains ne consiste qu’à composer et à joindre certaines pièces, qui ont un mouvement dont les principes sont tout à fait indépendants de l’ouvrier ; comme les poids et les ressorts, etc., dont les forces ne sont pas produites par l’ouvrier, qui ne fait que les ajuster et les joindre ensemble. Mais il en est tout autrement à l’égard de Dieu, qui non seulement compose et arrange les choses, mais encore est l’auteur de leurs puissances primitives, ou de leurs forces mouvantes, et les conserve perpétuellement. Et par conséquent, dire qu’il ne se fait rien sans sa providence et son inspection, ce n’est pas avilir son ouvrage, mais plutôt en faire connaître la grandeur et l’excellence. L’idée de ceux qui soutiennent que le monde est une grande machine qui se meut sans que Dieu y intervienne, comme une horloge continue de se mouvoir sans le secours de l’horloger ; cette idée, dis-je, introduit le matérialisme et la fatalité ; et, sous prétexte de faire de Dieu une Intelligentia Supramundana, elle tend effectivement à bannir du monde la providence et le gouvernement de Dieu. J’ajoute que par la même raison qu’un philosophe peut s’imaginer que tout se passe dans le monde, depuis qu’il a été créé, sans que la Providence y ait aucune part, il ne sera pas difficile à un pyrrhonien de pousser les raisonnements plus loin, et de supposer que les choses sont allées de toute éternité, comme elles vont présentement, sans qu’il soit nécessaire d’admettre une création, ou un autre auteur du monde, que ce que ces sortes de raisonneurs appellent la nature très sage et éternelle. Si un roi avait un royaume, où tout se passerait, sans qu’il y intervînt, et sans qu’il ordonnât de quelle manière les choses se feraient ; ce ne serait qu’un royaume de nom par rapport à lui ; et il ne mériterait pas d’avoir le titre de roi ou gouverneur. Et comme on pourrait soupçonner avec raison que ceux qui pré-