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nies, entrant en vertu de la raison et des vérités éternelles dans une espèce de société avec Dieu, sont des membres de la cité de Dieu, c’est-à-dire du plus parfait état, formé et gouverné par le plus grand et le meilleur des monarques : où il n’y a point de crime sans châtiment, point de bonnes actions sans récompense proportionnée ; et enfin autant de vertu et de bonheur qu’il est possible ; et cela, non pas par un dérangement de la nature, comme si ce que Dieu prépare aux âmes troublait les lois des corps, mais par l’ordre même des choses naturelles, en vertu de l’harmonie préétablie de tout temps entre les règnes de la nature et de la grâce, entre Dieu comme architecte, et Dieu comme monarque ; en sorte que la nature mène à la grâce et que la grâce perfectionne la nature en s’en servant.

16. Ainsi, quoique la raison ne nous puisse point apprendre le détail du grand avenir réservé à la révélation, nous pouvons être assurés par cette même raison que les choses sont faites d’une manière qui passe nos souhaits. Dieu étant aussi la plus parfaite et la plus heureuse, et par conséquent la plus aimable des substances, et l’amour pur véritable consistant dans l’état qui fait goûter du plaisir dans les perfections et dans la félicité de ce qu’on aime, cet amour doit nous donner le plus grand plaisir dont on puisse être capable, quand Dieu en est l’objet.

17. Et il est aisé de l’aimer comme il faut, si nous le connaissons comme je viens de dire. Car, quoique Dieu ne soit point sensible à nos sens externes, il ne laisse pas d’être très aimable, et de donner un très grand plaisir. Nous voyons combien les honneurs font plaisir aux hommes, quoiqu’ils ne consiste point dans les qualités des sens extérieurs.

Les martyrs et les fanatiques, quoique l’affection de ces derniers soit mal réglée, montrent ce que peut le plaisir de l’esprit ; et, qui plus est, les plaisirs mêmes des sens se réduisent à des plaisirs intellectuels confusément connus.

La musique nous charme, quoique sa beauté ne consiste que dans les convenances des nombres, et dans le compte dont nous ne nous apercevons pas, et que l’âme ne laisse pas de faire, des battements ou vibrations des corps sonnants, qui se rencontrent par certains intervalles. Les plaisirs que la vue trouve dans les proportions sont de la même nature ; et ceux que causent les autres sens reviendront à quelque chose de semblable, quoique nous ne puissions pas l’expliquer si distinctement.