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des notions innées

les états de l’âme ; que les vérités nécessaires sont innées et se prouvent par ce qui est interne, ne pouvant point être établies par les expériences, comme on établit par la les vérités de fait. Pourquoi faudrait-il aussi qu’on ne pût rien posséder dans l’âme dont on ne se fût jamais servi ? Avoir une chose sans s’en servir est-ce la même chose que d’avoir seulement la faculté de l’acquérir ? Si cela était, nous ne posséderions jamais que des choses dont nous jouissons : au lieu qu’on sait qu’outre la faculté et l’objet, il faut souvent quelque disposition dans la faculté ou dans l’objet et dans tous les deux pour que la faculté s’exerce sur l’objet.

Ph. À le prendre de cette manière-la, on pourra dire qu’il y a des vérités gravées dans l’âme, que l’âme n’a portant jamais connues, et que même elle ne connaîtra jamais, ce qui me paraît étrange.

Th. Je n’y vois aucune absurdité, quoique aussi on ne puisse point assurer qu’il y ait de telles vérités. Car des choses plus relevées que celles que nous pouvons connaître dans ce présent train de vie, se peuvent développer un jour dans nos âmes, quand elles seront dans un autre état.

Ph. Mais, supposé qu’il y ait des vérités qui puissent être imprimées dans l’entendement sans qu’il les aperçoive, je ne vois pas comment, par rapport à leur origine, elles peuvent différer des vérités qu’il est seulement capable de connaître.

Th. L’esprit n’est pas seulement capable de les connaître, mais encore de les trouver en soi, et, s’il n’avait que la simple capacité de recevoir les connaissances ou la puissance passive pour cela, aussi indéterminée que celle qu’à la cire de recevoir des figures et la table rase de recevoir des lettres, il ne serait pas la source des vérités nécessaires, comme je viens de montrer qu’il l’est : car il est incontestable que les sens ne suffisent pas pour en faire voir la nécessite, et qu’ainsi l’esprit a une disposition (tant active que passive) pour les tirer lui-même de son fonds ; quoique les sens soient nécessaires pour lui donner de l’occasion et de l’attention pour cela, et pour le porter plutôt aux unes qu’aux autres. Vous voyez donc, Monsieur, que ces personnes, très habiles d’ailleurs, qui sont d’un autre sentiment, paraissent n’avoir pas assez médité sur les suites de la différence qu’il y a entre les vérités nécessaires ou éternelles, et entre les vérités d’expérience, comme je l’ai déjà remarqué, et comme toute notre contestation le montre. La preuve originaire des vérités nécessaires vient du seul entendement, et les autres vérités