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57. Et comme une même ville regardée de différents côtés paraît toute autre et est comme multipliée perspectivement, il arrive de même que, par la multitude infinie des substances simples, il y a comme autant de différents univers, qui ne sont pourtant que les perspectives d’un seul selon les différents points de vue de chaque monade.

58. Et c’est le moyen d’obtenir autant de variété qu’il est possible, mais avec le plus grand ordre qui se puisse, c’est-à-dire c’est le moyen d’obtenir autant de perfection qu’il se peut (§§ 120, 124, 241, sqq., 214, 243, 275.)

59. Aussi n’est-ce que cette hypothèse (que j’ose dire démontrée) qui relève, comme il faut, la grandeur de Dieu ; c’est ce que Monsieur Bayle reconnut, lorsque dans son Dictionnaire (article Rorarius) il y fit des objections, ou même il fut tenté de croire que je donnais trop à Dieu, et plus qu’il n’est possible. Mais il ne put alléguer aucune raison, pourquoi cette harmonie universelle, qui fait que toute substance exprime exactement toutes les autres par les rapports qu’elle y a, fût impossible.

60. On voit d’ailleurs dans ce que je viens de rapporter les raisons a priori pourquoi les choses ne sauraient aller autrement. Parce que Dieu en réglant le tout a eu égard à chaque partie, et particulièrement à chaque monade, dont la nature étant représentative, rien ne la saurait borner à ne représenter qu’une partie des choses ; quoiqu’il soit vrai que cette représentation n’est que confuse dans le détail de tout l’univers, et ne peut être distincte que dans une petite partie des choses, c’est-à-dire, dans celles qui sont ou les plus prochaines ou les plus grandes par rapport à chacune des monades ; autrement chaque monade serait une divinité. Ce n’est pas dans l’objet, mais dans la modification de la connaissance de l’objet, que les monades sont bornées. Elles vont toutes confusément à l’infini, au tout, mais elles sont limitées et distinguées par les degrés des perceptions distinctes.

61. Et les composés symbolisent en cela avec les simples. Car, comme tout est plein, ce qui rend toute la matière liée, et comme dans le plein tout mouvement fait quelque effet sur les corps distants à mesure de la distance, de sorte que chaque corps est affecté non seulement par ceux qui le touchent, et se ressent en quelque façon de tout ce qui leur arrive, mais aussi par leur moyen se ressent de ceux qui touchent les premiers dont il est touché im-