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On m’a dit que la reine Christine avait beaucoup de penchant pour cette opinion, et comme M.  Naudé, qui a été son bibliothécaire, en était imbu, il y a de l’apparence qu’il lui a donné les informations qu’il avait de ces opinions secrètes des philosophes célèbres, qu’il avait pratiqués en Italie. Spinosa, qui n’admet qu’une seule substance, ne s’éloigne pas beaucoup de la doctrine de l’esprit universel unique, et même les nouveaux cartésiens, qui prétendent que Dieu seul agit, l’établissent quasi sans y penser. Il y a de l’apparence que Molinos et quelques autres nouveaux quiétistes, entre autres un certain auteur, qui se nomme Joannes Angelus Silesius, qui a écrit avant Molinos, et dont on a réimprimé quelques ouvrages depuis peu, et même Weigelius avant eux, ont donné dans cette opinion du Sabbat ou repos des âmes en Dieu. C’est pourquoi ils ont cru que la cessation des fonctions particulières était le plus haut état de la perfection.

Il est vrai que les philosophes péripatéticiens ne faisaient pas cet esprit tout à fait universel, car, outre les intelligences qui, selon eux, animaient les astres, ils avaient une intelligence pour ce bas monde, et cette intelligence faisait la fonction d’entendement actif dans les âmes des hommes. Ils étaient portés à cette doctrine de l’âme immortelle universelle pour tous les hommes par un faux raisonnement. Car ils supposaient que la multitude infinie actuelle est impossible, et qu’ainsi il n’était point possible qu’il y eût un nombre infini des âmes, mais qu’il faudrait qu’il y en eût pourtant, si les âmes particulières subsistaient. Car le monde étant éternel selon eux, et le genre humain aussi, et des nouvelles âmes naissant toujours, si elles subsistaient toutes, il y en aurait maintenant une infinité actuelle. Ce raisonnement passait chez eux pour une démonstration. Mais il était plein de fausses suppositions. Car on ne leur accorde pas ni l’impossibilité de l’infini actuel, ni que le genre humain ait duré éternellement, ni la génération des nouvelles âmes puisque les platoniciens enseignent la préexistence des âmes, et les pythagoriciens enseignent la métempsycose et prétendent qu’un certain nombre déterminé des âmes demeure toujours et fait ses révolutions.

La doctrine d’un esprit universel est bonne en elle-même, car tous ceux qui l’enseignent admettent en effet l’existence de la divinité, soit qu’ils croient que cet esprit universel est suprême, car alors ils tiennent que c’est Dieu même, soit qu’ils croient avec les